Filmothèque du Quartier Latin/ mardi 24 août 2010
Philippe D-L.
"Durant ces trois dernières années où Éric Rohmer était encore avec nous, il a accepté que je le filme dans son bureau qu'il aimait tant : ce sont des moments légers, des moments heureux, des moments de vérité aussi. Avec quelques-uns de ses comédiens qui constituent ma mémoire.
Ma rencontre avec Éric Rohmer remonte à trente ans: il préparait Perceval, époque très joyeuse où Fabrice Luchini, Arielle Dombasle, Pascale Ogier, et tant d'autres, fréquentaient assidûment ce lieu, pour les répétitions du film, mais aussi pour le bonheur d'échanger avec Éric, Nous avons tous gardé de cette époque, comme une protection, une éducation (non didactive, mais plutôt suggestive) qui s'est perpétuée, tout au long de notre vie, au rythme des films que nous tournions, avec leur préparation au bureau, et puis, après, avec ou sans film, car c'était toujours un bonheur hors du temps de le fréquenter. C'est pourquoi j'ai tout de suite pensé à Arielle et Fabrice, au premier film de Rohmer que j'ai tourné, et, comme Éric venait de terminer Les Amours d'Astrée et Céladon, à Andy Gillet, acteur principal de ce dernier film. La présence de Rosette aussi, même fugitive, était importante : Il y a 25 ans, je l'avais amenée avec moi au bureau et elle lui est restée (amicalement parlant, mais on ne parle que d'amitié ici) très fidèle toute sa vie. La fidélité n'est pas que du fait d'Éric, mais de quelques-uns d'entre nous.
Au début du tournage, en 2007, la Cinémathèque a invité Éric Rohmer à donner une conférence sur « la parole au cinéma », toute l'équipe s'y est rendue. J’en ai gardé quelques minutes dans mon film. Ça faisait partie de la vie. On ne peut pas passer à côté du fait qu'Éric est un homme de réflexion et d’enseignement. C’est une part indéniable de lui, même s'il ne nous a jamais rien imposé. Il me semble important de dire que ces choix n'ont pas été « réfléchis », mais totalement spontanés. Au fil des jours. Le hasard et les aléas du hasard, m'ont beaucoup guidée dans ce film. Les aléas : parce que je devais tout faire, toute seule, techniquement sans aucun autre matériel qu'une caméra vidéo dv. Je ne suis pas technicienne… Le hasard: Il n’était pas question de diriger qui que ce soit,mais bien de saisir ces moments de spontanéité, mis en scène cependant par leurs auteurs, y compris Éric.
J'ai aussi demandé à François Ozon, avec qui j'ai travaillé et qui a été son élève, d'intervenir dans le film, ainsi qu'à Valeria Bruni Tedeschi avec qui j'ai aussi travaillé, et Noémie Lvovsky. C'était important d'apporter aux spectateurs et à Éric le témoignage de professionnels qui l'aimaient. Il y a deux choses dans ce film: un témoignage pour les gens qui vont le voir, un souvenir légué volontairement par Éric, et quelque chose de moins apparent, mais qui était de ma part, un don visà-vis de lui. Car, pour nous aussi, ses amis, ses techniciens, Diane Baratier, chef op, Mary Stephen, sa monteuse, Pascal Ribier, au son, et son assistante fidéle, Françoise Etchegaray, que j'ai interviewés dans le film, il a été pendant de longues années notre maître, notre soutien, notre point de référence."
Marie Rivière